mercredi 19 mars 2014

Xavier de Chivré engagé volontaire en 1939

Comme Xavier de Chivré nous a laissé quelques écrits je le laisse narrer cette période de sa vie : "Nous étions en juin 39. A l’Est ça bouillait … Hitler avait bien sûr envahi l’Autriche, avait repris la Sarre depuis longtemps, avait envahi les Sudètes et maintenant menaçait la Pologne.
Il y eut un petit répit avec une conférence de Munich entre Hitler, Daladier, Chamberlain, un vague compromis mensonger et puis Boum ! l’envahissement de la Pologne !

C’était la guerre ! mobilisation générale ! et tout le tremblement.
Septembre 1939 ! la guerre ! Qu’ai-je fait ? Je suis parti au bureau de recrutement et j’ai demandé quoique réformé à m’engager pour la durée de la guerre. Quelle arme ? Je demande la marine ou l’aviation. Va ! … qu’importe ; cela n’a pas été très long, je crois qu’en octobre on m’incorporait dans l’armée … caserne Cambronne.
...
Voilà donc toute l’histoire de mon engagement pour la durée de la guerre ! Quelle connerie ! dans un sens oui, mais j’ai appris tellement de choses, l’amitié, la fraternité, l’égalité, j’ai appris la misère, la faim (je connaissais déjà) pas à ce point là, j’ai appris la soif, ah oui c’est atroce avoir soif ! , les coups de ces maudits ‘chleuh’ qui nous battaient à coups de crosses de fusil !

1939-1940. J’ai donc commencé la guerre à la caserne Cambronne, je crois en octobre 39. Ce fut marrant ! ‘Ben’ oui ! c’était la drôle de guerre.
Allez en rang par quatre ! une, deux, garde à vous ! repos ! …
Interrogation ! Que faites vous dans le civil ? … Moi tout fier je dis radio électricien. Bien à droite ! me voilà garé. Pas du tout ! un adjudant me fait voir un bâtiment là-bas. Allez vous faire habiller. Là on me fait déshabiller puis on me lance des froques invraisemblables et on me fait habiller en soldat. C’était minable : capote militaire tombant presque sur les chevilles, pantalon trop grand ! godasses énormes ! bref j’avais l’air d’un con ma mère, j’avais l’air d’un con !
Retour dans la chambrée, un type qui s’y connaissait un peu en couture me rafistole tout cela !
Rassemblement le soir et inspection d’un adjudant qui nous donne les consignes, les horaires etc. Le lendemain je crois ou le surlendemain rassemblement avec un discours d’un vague colonel je crois. Puis retour dans les chambrées. Appel ! rassemblement ! baratin divers etc …
Enfin on m’attribue un endroit où je dois prendre des ordres. J’y vais bien sûr et là je trouve un quelconque sous-off qui me donne un balai, une brouette, une pelle avec ordre d’aller balayer la cour, c’était l’automne avec plein de feuilles partout.

Voilà mes débuts de soldat pendant la guerre, quel héroïsme ! J’ai du balayer des journées entières pendant 2 mois au moins.
Un jour cependant, après un rassemblement, on nous a donné des armes. Très fier j’ai écopé d’un tromblon 1875 ou 80 en piteux état mais c’était un fusil ! Une fois ou deux j’ai participé à une marche dans la campagne avec sac au dos et fusil à l’épaule. On rentrait complètement crevé avec des ampoules aux pieds … etc etc.

Un jour j’ai demandé le rapport du colonel, je voulais expliquer mon cas, j’en avais marre de balayer la cour ! Oh je n’ai pas vu le colonel, non ! mais j’ai quand même eu un entretien avec un commandant qui m’a laissé parler ! sans en dire plus et quelques jours après j’étais muté à la caserne du 355ème d’Artillerie rue du Général Buat ! Cela me changeait, je n’avais plus de balai, plus de brouette et plus de feuilles à ramasser.

C’est là que commença mon instruction. J’appris à manier un fusil, à le nettoyer surtout et puis chose curieuse on m’apprit à connaître les appareils radio et téléphones de l’armée.
Alors là quelle rigolade, les appareils radio et téléphone dataient de 1914 ! et on était presque en 40 – Insensé ! j’avais presque honte d’essayer ces appareils en piteux état et datant d’une autre époque. C’était ainsi !

Voilà donc ce qu’on appelle mes classes militaires. A 17 h quartier libre, on pouvait sortir jusqu’à 19 ou 20 h je crois. J’en profitais pour aller travailler chez mon ancien employeur chez Maillet le magasin de radio. Je passais quelques heures à réparer et mettre au point les appareils radio que la clientèle apportait. Je gagnais encore ma vie tous les soirs !

Tout allait pour le mieux, la ‘drôle de guerre’ continuait ! « Nous irons tous sur la ligne Siegfried » si elle est encore là ; il y eut bien quelques escarmouches en bordure de frontière mais rien de grave.

Je crois que c’est en Avril que les évènements se sont précipités. On nous embarqua vers une destination inconnue et nous nous sommes retrouvés je ne sais trop où dans la Marne je crois ! Alors là ça devenait plus grave. On a commencé par nous faire creuser des tranchées avec nos pelles, nos pioches dans une terre crayeuse infecte. Dégueulasse ! on vivait là-dedans sans confort couchant à même le boyau que nous avions creusé. Pas drôle du tout.
Ah petit incident ! au cours de ces travaux, je parlais avec un autre soldat en disant que je trouvais anormal de vivre ainsi sans courrier, sans tabac, sans ravitaillement pendant que les officiers s’étaient installés dans des maisons réquisitionnées et faisaient bombance le soir. Alors là ce fut le drame car un sous-off qui passait par là m’entendit et le lendemain, je crois, rapport auprès du capitaine.
Ah la la qu’est-ce que j’ai pris. Menace de trahison, conseil de guerre ! vous serez fusillé pour rébellion etc … etc . Voilà !

Quarante huit heures après nous étions repartis à pied via les premières lignes et nous voilà quasiment à la frontière à la pointe de Givet je crois, là où les Allemands avaient attaqué en passant par la Belgique. 
Ce fut très simple, la compagnie dirigée par un jeune sous-lieutenant nous amena dans un champ, nous mit en position de tir et commanda « pour la compagnie en avant » … Contre qui ? on avait rien vu … mais on avançait et puis badaboum les Allemands bien camouflés derrière la ligne de chemin de fer nous tiraient dessus ! Ce fut l’hécatombe, quelques uns tombèrent sur place. Le sous-lieutenant nous fit reculer et commanda de faire un abri de fortune avec nos pelles. On passa la nuit dans l’attente d’un assaut, mais rien ne vient.
Au petit matin « Alerte au gaz » … nous voilà à essayer de mettre cet engin de malheur, personne ne savait comment se mettre ça. Enfin on s’aperçut que c’était la brume matinale qui recouvrait la prairie. Ouf ! pas de gaz !
On entendait non loin de nous dans le contre bas de la prairie un roulement incessant, bruit de camions, de chenilles etc. Le sous-lieutenant nous dit : « vous en faites pas c’est un repli stratégique ». Ouais … ouais ! C’était les Allemands qui avançaient gaillardement sur les routes en dessous de nous.
Alors là ce fut la débandade, nous étions quasiment encerclés et chacun essayait de trouver une issue pour sortir de ce guêpier. Ce fut de longs jours à errer de part et d’autre sans commandement, sans aucun officier, sans aucune idée où aller.

Partout c’était la panique, les Allemands avançaient plus vite que nous.
Sur les routes allant vers le Sud, les réfugiés partaient à pied, en chariot, en brouette, en vélo. Les avions Allemands prenaient les routes en enfilade et mitraillaient tout, les civils, les militaires, c’était vraiment la pétaudière ! Nous avancions tant bien que mal, à pied bien sûr, par groupe de 10 ou 20 pauvres types sans commandement vers le Sud.
Nous eûmes un regroupement du côté de … Reims … je crois. Il y eut un ravitaillement plus ou moins organisé et puis la débandade reprit, les Allemands soit disant à nos trousses …
Pendant combien de temps ? je ne sais trop, on marchait ou dormait quelques heures. Bref quels souvenirs !

Un soir avec les copains, n’en pouvant plus on s’arrête à Ancy le Franc et on trouve une grange, une dépendance du château d’Ancy le Franc, inhabitée, on monte tous à l’échelle et là ‘couchés dans le foin’ on dort. Oui on a dormi ! combien de temps ? Je ne sais trop !
Enfin le lendemain midi on se dit il faut continuer et baoum ! on ouvre la porte de la grange et que voit-on ? … une vingtaine ou plus de soldats Allemands dans la cour en bas de l’échelle, qui étaient à moitié à poil en train de se laver sous une douche rudimentaire et qui rigolaient fortement. Il fallut bien sortir de là et nous voilà descendant l’échelle pour arriver près des ennemis. Nous avions l’air fin !
Ils ne nous ont pas maltraités, non ! ils rigolaient de voir nos tenues datant de 14-18.
Un officier à cheval arriva dans son uniforme impeccable et dans un français à peu près correct nous a dit : « vous prisonniers ! la guerre est finie, votre maréchal Pétain a signé l’armistice ».

On tombait des nues, la guerre finie, prisonniers, ce n’est pas croyable ! Et pourtant c’était la vérité. Depuis trois semaines que nous cavalions vers le Sud, on se trouve à quelques kilomètres de Troyes prisonniers. Incroyable ! mais vrai …

Et voilà le début de ces cinq années de captivité !
On nous mit en rang par quatre sans trop de méchanceté il faut le dire. Les Allemands rigolaient comme des fous de voir cette armée dépenaillée, crottée, sale … Tant bien que mal ils comptèrent tous ces prisonniers et nous firent avancer en colonne pendant plusieurs kilomètres pour arriver complètement fourbus aux faubourgs de Troyes. Rassemblement dans une grande cour d’usine, combien étions nous ? des centaines c’est sûr. Tous plus ou moins loqueteux, crevant de faim et de soif.

Dans la soirée il y eut une distribution de pain, pas du pain blanc, non du pain K.K. On se partagea les boules de pain puis une ration d’eau nous fut apportée. Après cela couchez vous par terre ! à même le sol ! sans couvertures. En se tassant les uns les autres on dormit un peu ; c’était en juin 1940 il ne faisait pas froid.
Au matin des cris rauques nous firent se mettre debout. Evidemment on ne comprenait rien à leurs gueulements. Enfin un homme plus ou moins gradé nous servit d’interprète.

Comptez-vous ! en rang par 4 etc … etc … Plusieurs jours passèrent ainsi à compter les prisonniers. Quelques harangues d’officier Allemand parlant un peu français nous racontèrent que la guerre était finie, que nous allions rentrer chez nous mais qu’ils devaient d’abord nous recenser, nous recompter encore … etc … etc …
Le moral était à ZERO, on était sale, déguenillé, quelle armée !

On demanda des volontaires pour faire des travaux de propreté. Ma foi pourquoi pas ? On m’embarqua avec d’autres dans la campagne. Il fallait creuser des fosses pour enterrer les cadavres des chevaux, des vaches etc. Ce n’était donc pas méchant ! en fin de journée on recevait une boule de pain, un saucisson, etc… cigarettes, de quoi se sustenter un peu.
Pendant quelques jours cela m’a permis de vivre un peu.

Puis une autre fois, je fus désigné pour un « kommando », qu’est-ce que c’est que ça ? Avec une dizaine d’autres camarades nous fumes emmenés à l’hôpital de Troyes.
Une baraque nous attendait, on eut droit à une douche. Quelle joie ! Puis on nous fournit d’autres vêtements militaires français en bon état, propres. Nous eûmes droit à du savon quel luxe, serviette de toilette. Bref on se sentait mieux. 
On nous demanda nos métiers respectifs. Ça tombait bien, ils avaient besoin d’un réparateur électricien radio, tout à fait dans mes cordes.
J’ai eu droit à une pièce spéciale pour installer un petit atelier. Un Allemand m’emmena en ville réquisitionner des voltmètres, résistances, condensateurs, fer à souder … etc, le parfait bricoleur.

Voilà donc mes débuts de captivité. Nous étions nourris correctement : du pain K.K., du saucisson, du fromage, margarine, des pâtes de temps en temps. Le soir on nous comptait encore évidemment nous étions sous surveillance, impossible de sortir bien sûr.

Voilà donc mon emploi du temps à ce moment là. Aucunes nouvelles des uns ou des autres. J’avais en réparant les postes de T.S.F. des Allemands de l’hôpital quelques informations sur les suites de la guerre, mais très peu de choses … « Radio Paris ment, Radio Paris est Allemand ».
On nous disait de temps à autre « ne faites rien de mal vous allez rentrer chez vous d’ici peu » on y croyait !

Quelques semaines, quelques mois ont passé, toujours dans l’attente d’un retour à la vie civile.
Enfin en fin Novembre nous avons été tous regroupés et transférés à quelques km de là dans une ancienne caserne je crois. La vie y fut particulièrement dure : rassemblement le matin, marche au pas dans la cour, comptage des hommes, recomptage etc.
La bouffe plus que rudimentaire : le pain K.K., des radis, quelques fois un bout de saucisson, le strict minimum pour pouvoir survivre …

Noël arriva ! les ‘cheuleux’ érigèrent un grand arbre de Noël, un énorme sapin tout enguirlandé de lumière pour faire croire aux habitants de Troyes et d’alentour que nous fêtions Noël ! on nous fit descendre dans cette immense cour et tantôt au pas, tantôt au trot ils nous firent défiler autour de l’arbre – Ah les vaches ! on crevait de faim mais il fallait faire croire que tout était bien.
Voilà mon premier Noël de captivité. On eut droit je crois, à une demie boule de pain K.K. supplémentaire, quel festin !

Après quelques jours passés ainsi avec rassemblement, course à pied autour de cet arbre, il y eut quelque remue ménage.
On comptait les hommes, on les recomptait, ‘en rang par 4’ tout cela entourés de soldats Allemands avec leurs fusils dirigés vers nous. Des officiers comptaient, recomptaient pendant des heures. La galère !

Un beau jour rassemblement en rang par quatre, un nombre important de soldats Allemands nous encadrèrent et en avant ! nous avons traversé le centre de Troyes, les habitants pleuraient, quelques uns jetaient du pain, du chocolat, des biscuits. Attention défense de s’arrêter, il y avait je ne sais combien de soldats qui nous fichaient des coups de crosses de fusils quand ça n’allait pas assez vite.
On arriva tant bien que mal à la gare et là il fallut embarquer dans les wagons à bestiaux ! Combien par wagon ? je ne sais trop : 60 types 80 peut-être ! Tout cela à coup de crosse dans le dos.
Le wagon avait de la paille par terre, au centre un énorme baquet, on comprit que c’était pour pisser. Ce fut atroce ! ça puait ! les gars devenaient fous, ça gueulait partout. Les uns pleuraient de honte d’être traités comme des animaux. Au milieu de la nuit les trains se sont ébranlés, et nous voilà partis, pour où ? 
Nous avons passé quatre jours dans ces conditions abominables. Des types armés de couteaux ont essayé de déboulonner le plancher pour s’évader, sans résultat.
Ah un événement bizarre je ne sais où. Arrêt du train, ouverture des wagons avec je ne sais combien d’Allemands en arme, puis des femmes de la Croix Rouge ont commencé à donner de la soupe à chaque homme. J’ai eu dans ma gamelle un potage maggi bien épais. Je crevais de faim et me suis tapé presque toute la gamelle. Mal m’en a pris car je me suis quasiment étouffé, j’ai bien failli y passer. Des copains m’ont aidé, déboutonné mes vêtements et m’ont retapé un peu ! C’était je crois à la frontière Allemande !

Encore deux, trois jours de train puis on arriva je crois près du camp de Muldorf le stalag Allemand. Descente du train dans la neige, on avait soif, on a mangé de la neige faute de mieux !
En rang par quatre bien sûr on nous fit entrer dans ce camp situé en pleine nature. De la neige partout, au loin des sapins couverts de neige – un camp énorme ! Comment décrire cela ! Après une entrée, une grande allée puis des rangées de baraques alignées par rues. Tout autour de ces baraques, des fils de fer barbelés, une rangée, puis une allée, puis une autre rangée de barbelés, celle-là électrifiée puis une autre allée encore grillagée et électrifiée.
Entre ces allées des Allemands armés et accompagnés de chiens circulaient jour et nuit. 
A plusieurs endroits un mirador dans lequel un Allemand avec mitrailleuse pointée sur le camp surveillait tout le monde.
C’était là le stalag VII A !

Quelle désillusion après nous avoir dit que la guerre était finie, que nous allions rentrer chez nous de nous voir là parqués comme des animaux. Le moral en prend un coup !!

Après avoir été installé dans une baraque, on put enfin se coucher sur les fameux chaslits à 3 étages en paillasse de paille plus ou moins propre, nos modestes affaires posées à terre. Au milieu de la baraque un espèce de poêle dans lequel on brûlait ce qu’on pouvait pour réchauffer les aliments que les uns ou les autres possédaient …".

Xavier de Chivré a été rapatrié en France le 31 avril 1945.